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A défaut de liquidités, les banques penchent vers la finance islamique

Le rôle des banques algériennes dans la promotion des investissements économiques a été le thème à débattre lors de l’émission «Débat économique» du journal «Le Chiffre d’Affaire». L’invité de cette édition, M. Chabane Assad, fondateur de la société FINABI, un cabinet spécialisé dans le diagnostic financier, l’évaluation des entreprises et le pilotage de la performance financière, a expliqué en détails la législation bancaire qui incombe dans sa majorité sur la maîtrise du risque et non sur le développement de l’économie nationale, ce qui les a asséchés en liquidités depuis la chute du prix du pétrole et la crise de la pandémie du coronavirus.

 

Entretien réalisé par Naima Allouche 

 

LCA : En absence des banques d’investissement en Algérie pour booster l’économie nationale, les opérateurs ont eu recours aux banques classiques mais l’apport de ces dernières dans l’investissement reste à désirer, pourquoi ?

Chabane Assad : Je vais d’abord commencer par décrire l’écosystème bancaire en Algérie très rapidement. Nous disposons d’une vingtaine de banques dont six publiques et 14 privées et qui ont la possibilité de faire plusieurs activités, à savoir, de récolter des dépôts, d’octroyer des crédits à l’économie, de gérer les moyens de paiement et même participer dans le capital des entreprises et faire des investissements. Il y a aussi neuf établissements financiers qui ne peuvent faire que du crédit, ce qui fait la différence entre une banque et un établissement financier. En tout, l’Algérie dispose donc de 29 structures financières. D’un point de vue réglementaire et juridique, nous pouvons créer des coopératives et des caisses de dépôts et de crédits, chose qui n’existe pas en Algérie et pourtant la loi le permet. A titre d’exemple, une coopérative d’une centaine de personnes au minimum peut créer une caisse destinée à un secteur précis, par exemple l’agriculture et dont les adhérents de cette coopérative peuvent récolter exclusivement des dépôts et octroyer des crédits.

 

Et pourquoi alors, l’Algérie n’arrive pas à booster son économie, si toutes ces structures peuvent financer et développer des activités économiques ?

Pour répondre à cette problématique, il faut savoir que la banque dépend de deux critères, à savoir la liquidité et le risque par rapport à l’investissement. D’abord, la liquidité est très importante pour la banque, et pour l’avoir, il faut niveau des dépôts où l’épargne des particuliers ou des entreprises, soit élevé. A rappeler que le problème de la liquidité ne se posait pas en Algérie, pendant les dernières vingt années, parce qu’il y avait les recettes fiscales et la manne pétrolière qui faisait que la liquidité était excédentaire et les banquiers n’avaient pas besoin d’être agressifs pour récolter la liquidité et ou fournir un effort de plus pour diversifier les ressources de la liquidité. Aussi, d’un point de vue international, il y a une agence bancaire pour 5 000 personnes. En Algérie, chaque agence est pour 27 000 personnes, donc il n’y avait pas assez de réseaux pour accueillir cette liquidité. Et bien sûr, le manque d’imagination chez le banquier pour récolter n’est pas assez développé. Pendant 20 ans, cette imagination ou cette agressivité n’était pas importante en raison de la surliquidité émanant des hydrocarbures. Aujourd’hui, le fait que le prix du baril du pétrole a diminué, il a créé une problématique même pour les banques qui cherchent aujourd’hui la liquidité et le paiement en cash. C’est ce qui explique maintenant le tournant de la réglementation de la Banque d’Algérie vers la finance islamique qui a un seul objectif, celui d’attirer la liquidité dans le monde et au niveau économique par rapport surtout au secteur informel car le système bancaire y en a besoin. Quant on demande l’octroi d’un crédit, il faut qu’on récolte de dépôt et la banque est en manque crucial. Comme  il y a un assèchement de liquidité, les pouvoirs publics ont réfléchi à la finance islamique pour avoir de la liquidité afin de rebooster l’économie et faire des crédits de réalisations d’investissements productifs, c’est-à-dire octroyer des crédits aux PME et des TPE, parce qu’elles constituent le vivier de l’économie algérienne avec 87%, et elles sont le premier secteur de l’emploi et de création de richesses.

 

Les pouvoirs publics ambitionnent de diversifier les sources de revenus hors hydrocarbures avec la même législation bancaire qui demeure trop rigide et la majorité des opérateurs économiques trouvent que l’investissement en Algérie n’est qu’un discours politique. Qu’en dites- vous à ce sujet ? 

Au fait, en Algérie, toute la législation bancaire tourne autour du risque. La Banque d’Algérie, qui est le régulateur, a décrit la majorité de sa législation pour gérer le risque. C’est-à-dire la banque, qui octroie des crédits aux opérateurs économiques, prend des risques, et la législation bancaire, pour éviter ce risque, préfère se focaliser sur certaines activités telles que les importations et le financement de toutes les entités économiques publiques car il y a moins de risque et assurent leur solvabilité et respectent cette réglementation rigide. Depuis la crise de 2019 et avec la pandémie de la Covid-19 en 2020, la commande du secteur public a diminué, les importations ont été réduites au maximum. Le système bancaire doit financer maintenant le secteur productif et promouvoir les investissements. Mais la gestion du risque pour ce genre d’entreprises est plus contraignante et surtout que la banque n’a pas l’habitude de financer de manière importante ce secteur économique. Ce n’est pas facile pour le secteur bancaire de changer de paradigmes. C’est pourquoi, notre demande est d’ouvrir le secteur des banques au privé qui a l’appétit pour le risque et qui est prêt à l’aventure pour le financement des PME et PMI qui est la source de création de valeur. La création des banques d’investissement permet la concurrence et le financement de la petite et moyenne entreprise. Actuellement, le paradigme du système bancaire n’arrive pas à l’accepter. Je cite un petit exemple sur une PME qui demande l’octroi d’un crédit bancaire pour financer la création ou le développement d’un projet. Dans les pays européens et du MENA, quand une PME se finance pour se créer ou se développer, la banque finance à hauteur de 80% et il suffit de ramener une seule garantie financière à la banque, sans demander d’autres cautions. Il est à noter que dans le domaine financier, il y a trois types de garantie, à savoir les garanties réelles, le plus connu étant l’hypothèque, la garantie financière d’une caisse telle que le FGAR, chez nous, par exemple, qui se porte garante sur le projet en cas de défaillance et enfin les garanties personnelles ou les cautions solidaires. Et là, c’est le comble, parce que si le projet ne marche pas, la banque va se retourner vers les biens personnels même s’il s’agit de sa propre maison et c’est dramatique. Malheureusement, c’est ce qui se pratique avec nos banques qui ne financent qu’à 10% les projets alors qu’ailleurs, c’est à hauteur de 80% et elles exigent les trois garanties en même temps. Dans le monde économique, quand une PME se crée, il y a toujours le risque de disparaître ou prendre du temps pour se développer. À ce niveau là, les caisses fournissent la garantie pour créer plus de richesses économiques. Les banques algériennes doivent faire plus d’appels aux caisses pour des garanties financières au lieu de demander des cautions réelles et des biens personnels. Il faut travailler plus sur les caisses de garantie, car il y a des chefs d’entreprise qui n’ont pas de patrimoine personnel ou qui ne veulent pas engager leurs biens. 

Et là, c’est la contradiction entre les appels des pouvoirs publics à l’investissement et les banques qui ne suivent pas par peur du risque. Est-ce qu’il y aura un changement dans la législation ?

Au fait, la législation ne dit pas clairement que les banques doivent réunir toutes ces garanties pour donner un crédit aux entreprises et elle laisse le choix aux banques de prendre même une seule garantie. Mais comme les banques, elles sont habituées à travailler exclusivement avec des clients qui n’ont pas de problèmes de trésorerie et dépendant des commandes publiques. C’est pourquoi les banquiers ne veulent pas faire davantage d’efforts pour ramener de l’argent. En plus, il y a un excès dans l’application de la réglementation et un manque de confiance vis-à-vis des PME. Pour valoriser l’équation liquidité-risque, il faut encourager la fameuse inclusion financière et les banques doivent être plus agressives pour attirer cette liquidité, car la meilleure façon de maîtriser le risque est de le prendre comme il se dit dans l’adage des financiers. On doit voir ce qui se passe dans le monde et le recopier chez nous, pour enfin diversifier le portefeuille des banques. Je le répète encore une fois, la problématique est que les banques ne font pas appel aux caisses assez souvent pour assurer la garantie. Aujourd’hui et heureusement, il y a certaines banques qui ont commencé à comprendre cette situation comme le CPA qui a décidé dernièrement d’aller vers le financement des TPE et PME

Dans une analyse établie par votre cabinet sur les dispositifs d’appui à l’emploi Ansej, Cnac et Angem, vous avez estimé que l’Angem a créé plus d’emplois avec un budget de 3,27% que les 96,73% consommés par l’Ansej et la Cnac. De ce fait, vous avez proposé de fusionner l’Ansej et l’Angem vers le microcrédit et de faire revenir la Cnac à sa mission principale qui est l’allocation de chômage, peut-on avoir plus de détails ?

Cette note d’analyse que le cabinet FINABI a établie dernièrement, propose plusieurs solutions. Nous avons constaté qu’à travers le monde, le niveau d’emploi créé par le microcrédit est plus important que celui créé par la Cnac et l’Ansej. Et la première recommandation faite était qu’il y a une perversion de la Cnac qui est une Caisse nationale destinée à faire face au chômage, donc elle doit revenir à ses origines à l’instar d’autres pays, la Cnac n’a pas à financer les entreprises. Peut-être, elle peut contribuer au montage financier d’une entreprise. En raison des sommes importantes en sa possession générées par les cotisations des employés. Aussi, nous pouvons créer un fonds d’investissement pour multiplier la création d’emplois, en finançant des entreprises. Concernant l’Ansej, nous nous sommes dit que peut- être le business model est le microcrédit et qu’il faut fusionner l’Ansej et l’Angem pour créer une banque de  microcrédit et financer justement les très petites entreprises qui sont créatrices d’emplois et de valeur.

La tendance, aujourd’hui, est de proposer des produits islamiques par quelques banques pour avoir de la liquidité. A ce propos, qu’en pensez-vous ?

Notre société est très pieuse et le produit islamique est une réponse très optimale. Les produits islamiques sont très efficaces et très diversifiés, surtout le dépôt qui est très important pour capter cette liquidité nécessaire pour financer la promotion de l’investissement et la création de valeur, mais notre avis sur la finance islamique et la faiblesse que nous avons détectée au niveau du cabinet FINABI est le pressentiment de la société qui est très négatif vis-à-vis des banques conventionnelles. C’est pourquoi, il faut créer carrément des banques destinées à la finance islamique. Dans ce sens, nous avons même proposé aussi la création de fonds d’investissement islamiques qui sont plus efficaces que les banques pour récolter la liquidité parce qu’ils sont proches du terrain et que ces banques doivent aller vendre ce concept pour saisir le marché de la liquidité.

 

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