Analyse du budget d’équipement de 1990 à 2013

Par Samia AKLI, Slimane BEDRANI, Ahmed BENMIHOUB
De par le monde, et en réponse à une demande en eau en constante croissance, plusieurs pays ont procédé à de gros investissements pour construire de nouvelles infrastructures et entretenir, mettre à niveau et exploiter les installations existantes (OCDE, 2013a).
La région méditerranéenne, qui héberge près de 60% de la population mondiale faiblement pourvue en eau (dotée de moins de 1000 m3 d’eau/hab./an) , recèle des ressources en eau limitées, fragiles et menacées avec des apports naturels inégalement répartis (72 % au Nord, 23 % à l’Est, 5 % au Sud2 ) Les pays de l’Afrique du Nord, en particulier, sont caractérisés par une situation de stress hydrique structurelle, ne recélant que 0,1% des ressources mondiales d’eau naturelle renouvelable. La Libye, l’Algérie et la Tunisie sont considérées en situation de « pénurie hydrique » (en dessous de 500 m3/hab./an). Les études de prospective prévoient, dans le scénario le plus pessimiste, une diminution de plus de moitié des ressources en eau à l’horizon 2050 dans les bassins du Maroc et de l’Algérie (Orjebin-Yousfaoui, 2014).
Pour répondre aux besoins de leurs populations, les pays de la région consacrent des dépenses (essentiellement publiques) variant entre 0,04% et 2,8% du PIB pour le secteur de l’eau et entre 0,01% et 0,46% pour l’assainissement3 . Cette enveloppe reste néanmoins insuffisante, en deçà des préconisations de l’OCDE et du panel Camdessus qui recommandent que le financement de ce secteur soit de 1 à 2 % du PIB de chaque pays sur les vingt années à venir (Orjebin-Yousfaoui, 2014). Selon l’OCDE (2006), les dépenses d’investissement globales nécessaires à la maintenance et au développement des infrastructures des services de l’eau et de l’assainissement dans les pays de l’OCDE et les BRIC4 pourraient atteindre entre 0,35 et 1,2% de leur PIB (OCDE, 2013a). Toutefois, de grandes disparités sont enregistrés entres les différents pays quant à l’estimation des besoins annuels de dépenses. L’examen des besoins d’investissement d’un certain nombre de pays a permis de conclure que dans l’avenir, le niveau des dépenses consacrées aux services de l’eau dans les pays à revenu élevé devrait être de l’ordre de 0,75% du PIB (entre 0,35% et 1,2%) et pourrait atteindre 6% dans certains pays à faible revenu qui devraient rattraper leur retard d’investissement dans ce secteur. A l’échelle maghrébine, le niveau d’investissement dans les ressources en eau dans les principaux secteurs consommateurs d’eau, notamment l’approvisionnement en eau et l’irrigation ont été considérables avant les années 2000, représentant 3,1% du PNB pour les trois pays l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Néanmoins, l’Algérie n’a consacré au secteur des ressources en eau que 12,4% de l’investissement public global, soit presque la moitié de ce qu’a réservé le Maroc et la Tunisie (22,5%), alors que son PNB par habitant est cinq fois meilleur que celui du Maroc et deux fois que celui de la Tunisie5 (Banque mondiale, 1994).
A partir des années 2000, grâce à des financements colossaux sur concours définitifs de l’Etat algérien et en réponse à l’évolution considérable de la demande en eau, les capacités de stockage des eaux de surface ont été accrues et l’exploitation des nappes souterraines a été augmentée. Les investissements dans le secteur de l’eau qui ont doublé de 1999 à 2006 (1,3% à 2,6% du PIB) ont été pour la plus grande part (2/3 environ) consacrés aux grandes infrastructures de mobilisation et aux ouvrages d’adduction et de transfert (Benblidia, 2011). Selon Benblidia et Thivet (2010), la construction de nouveaux barrages, la réalisation de grands transferts régionaux et de grandes adductions urbaines et agricoles, des usines de dessalement ont permis d’augmenter nettement le volume des ressources en eau mobilisées et d’améliorer les conditions d’approvisionnement des régions et des agglomérations déficitaires.
En effet, près de 470 milliards de dinars ont été mobilisés entre 2000 et 2009 pour le secteur de l’AEP et près de 475 milliards de dinars pour la mobilisation de la ressource au courant de la même période (Yessad, 2012), auxquels s’ajoute le budget alloué pour le financement du grand programme de dessalement qui est à la charge du Ministère de l’Energie et des Mines dont plus de 80 milliards de dinars mobilisés. Il faut ajouter à ces montants les investissements réalisés par le ministère de l’agriculture en petite et moyenne hydraulique (réalisation de petits périmètres irrigués, subventions allouées aux agriculteurs pour l’équipement hydraulique,…)7 . L’objet de cet article est d’analyser le financement public du secteur des ressources en eau en Algérie à partir de 1990. Il s’agit d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : Quelle est la part du secteur des ressources en eau dans le budget d’équipement global de l’Etat et dans le PIB? Quelle est la répartition de ce budget entre les différents sous-secteurs ? Est-ce que ces financements ont permis de répondre aux besoins des secteurs productifs, l’agriculture en particulier ?
- Cadre théorique et méthodologique
- 1.1. Cadre théorique
Notre travail s’inscrit dans le cadre de la théorie des finances publiques (Musgrave, 1959) et plus largement dans la discipline du champ de l’économie publique qui traite du rôle de l’Etat : comment définir ses objectifs et quelles sont les justifications de son intervention dans l’économie ? Selon Musgrave (1959), la première fonction de l’Etat8 est l’allocation des ressources. Pour justifier cette fonction, plusieurs raisons sont données, qui concernent les défaillances de l’économie de marché. Les trois principales raisons, et qui constituent les caractéristiques de la ressource en eau, sont : – L’existence de biens collectifs caractérisés par la non rivalité et la non exclusion (voir la théorie des biens publics mise au point par Paul Samuelson (1954)9 ) ; – La présence d’externalités, positives ou négatives ; – Les fonctions des coûts décroissants et les rendements d’échelle croissants dans la production, sous forme de monopole ou d’une autre organisation qui n’est pas de concurrence pure. Il est possible de citer comme exemple les industries avec fonctions de coûts décroissants qui implique des rendements croissants d’échelle et l’indivisibilité de la structure de production jusqu’à la limite de capacité, exemples : réseaux de gaz, d’eau, d’électricité, …), on parle alors de monopole naturel (voir la théorie des monopoles naturels de Sharkey (1982))
1.2. Méthodologie
Notre démarche méthodologique est déclinée en deux étapes : la constitution de la base de données, ensuite, l’analyse des principaux indicateurs relatifs au financement du secteur des ressources en eau.
– La constitution d’une base de données sur le financement du secteur : la collecte des données a été effectuée auprès de la Direction de la Planification et des Affaires Economiques du Ministère des Ressources en Eau concernant l’enveloppe financière globale du secteur, les dotations, ainsi que les consommations effectives réparties par les différents sous-secteurs (les études générales, les barrages, les forages, l’AEP/Adduction, l’assainissement, les retenues collinaires, l’irrigation et Autres (Bâtiments, Formation, Recherche, Périmètres irrigués, Voiries urbaines, Informatique, Entretien et Enseignement supérieur qui sont regroupés dans un seul budget)) durant la période 1990-2013. Un complément d’informations est collecté auprès du Ministère des finances concernant le budget d’équipement global de l’Etat ainsi que le Produit Intérieur Brut par année (PIB), pour la même période.