Actualités
A LA UNEACTUALITEINTERVIEW

« Avec le raffermissement du dinar, il va y avoir un effet positif sur les prix »

La monnaie nationale retrouve ses couleurs après plusieurs années de dépréciation ininterrompue. Depuis juillet, le dinar grappille d’importants gains face aux deux principales devises, à savoir le dollar et plus particulièrement l’euro. La hausse des fondamentaux de l’économie et des cours des hydrocarbures sur les marchés mondiaux a contribué grandement à l’appréciation du dinar. Certains économistes y voient plutôt l’effet d’un mouvement de change à l’international favorable au dinar. L’euro a fortement chuté dans le sillage de la crise énergétique qui menace le vieux continent. Ce contexte s’est traduit par une nette appréciation du dinar qui, avant juillet, servait d’amortisseur du choc externe dont les conséquences sur l’économie nationale étaient préjudiciables. La dépréciation du dinar permettait jusqu’ici d’accroître artificiellement les recettes en dinar, des recettes pétrolières et de renchérir les importations de biens et services. La Banque Centrale, à travers sa politique monétaire, dont le taux de change du dinar en est l’un des outils, jouait ainsi un rôle stratégique dans le maintien des équilibres macroéconomiques. D’autres économistes estiment que l’appréciation du dinar de ces dernières semaines constitue un bouclier anti-inflation. Le taux a atteint 9,4% en juillet dernier, en glissement annuel. Dans cette interview, Brahim Guendouzi, économiste, tente de tirer au clair les facteurs ayant participé à l’appréciation du dinar et de situer les enjeux.

Interview réalisée par ALI TITOUCHE

Après avoir connu des ajustements à la baisse pendant les années ayant suivi le contrechoc pétrolier de la mi-2014, le dinar connaît une nette appréciation ces dernières semaines face aux deux principales devises, en particulier face à l’euro. Selon vous, quels sont les facteurs ayant contribués à cette appréciation ?

L’un des facteurs ayant contribué fortement à la dépréciation de la valeur du dinar à la fin de 2021, à savoir la détérioration du compte courant extérieur, s’est inversé au premier semestre 2022 dans le sens de l’excédent et ce, conséquemment au solde commercial extérieur positif rendu possible par la hausse sensible des cours du pétrole brut mais également des quantités d’hydrocarbures exportées ainsi que du contrôle plus stricte appliqué sur les importations de biens et service. Ceci s’est traduit par le raffermissement de la valeur du dinar par rapport au dollar us et à l’euro, constaté à travers les cotations de devises publiées par la Banque d’Algérie depuis le début de l’été. Mais pas uniquement cela, puisque l’on assiste en même temps à la détérioration des variables macroéconomiques dans les principaux pays partenaires, en l’occurrence un niveau élevé d’endettement interne et une forte inflation, induisant des ajustements à la hausse des taux d’intérêt de la part des banques centrales. Aussi, conformément à la règle de la parité des pouvoirs d’achat des monnaies et son impact sur le taux de change effectif réel, le taux de change nominal du dinar rapporté à l’euro et au dollar s’est quelque peu apprécié par rapport à la situation en début 2022.

Cette appréciation peut-elle servir de bouclier anti-inflation dont le taux a atteint 9,4% en juillet dernier, en glissement annuel, ou bien la flambée de l’inflation en Europe, premier partenaire commercial de l’Algérie, contrebalance les probables effets positifs de l’appréciation du dinar sur l’inflation interne ?

L’économie nationale étant extravertie, elle subit directement les effets de la forte inflation qui s’est installée dans les pays partenaires commerciaux de l’Algérie. Cependant, avec le raffermissement relatif de la valeur du dinar, il va y avoir momentanément un impact positif sur le niveau des prix des produits et services importés, contribuant ainsi à amortir autant que faire se peut la hausse des prix à l’international.

Quelles sont les possibles conséquences de l’appréciation du dinar sur les finances publiques et les comptes extérieurs du pays ?

Plutôt c’est l’inverse, c’est-à-dire les deux importants déficits, interne (budgétaire) et externe (compte courant), ont eu un impact négatif sur la valeur du dinar. L’amélioration de la balance courante au premier trimestre a justement facilité le redressement de la monnaie nationale comparativement à la situation vécue en début d’année. Cette appréciation du dinar reste cependant fragile eu égard aux autres variables inhérentes au fonctionnement de l’économie nationale, particulièrement le persistant déséquilibre budgétaire ainsi qu’une croissance économique molle. En revanche, cela permet de détendre un tant soit peu les équilibres macroéconomiques en liaison avec l’amélioration du niveau des réserves de change attendue d’ici la fin de l’année en cours.

Comment peut-on expliquer le fait que la valeur des monnaies étrangères reste élevée sur le marché parallèle, alors qu’elle est en nette baisse sur le marché officiel ?

Le marché officiel des changes est régulé par la Banque d’Algérie et obéit aux mécanismes du contrôle des changes tels que édictés par le Règlement n°2007-01 du 03 février 2007, modifié et complété, relatif aux règles applicables aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes devises. Les cotations de devises publiées hebdomadairement par la Banque d’Algérie sont applicables aux opérateurs économiques qui doivent procéder aux domiciliations bancaires synonymes d’autorisations de change. Par contre, le marché informel des devises, toléré jusque-là par les pouvoirs publics, obéit à une autre logique relevant aussi bien de l’offre des devises, échappant au canal bancaire, que de la demande de ces devises qui est le fait des personnes physiques, particulièrement les voyageurs vers l’étranger, qui ne peuvent procéder au change officiel dans les guichets de banque. Par conséquent, le taux de change qui s’établit sur ce marché est lié aux flux de voyageurs se rendant vers l’extérieur mais également au niveau d’alimentation en devises des revendeurs informels. D’ailleurs, durant la pandémie et avec la fermeture des frontières, ce marché avait connu un véritable marasme et c’était la seule fois où les cours de change informels étaient la baisse !

Cet écart ne rappelle-t-il pas l’impératif de lutter contre ce marché informel car affaiblie les canaux de transmission de la politique monétaire ?

Dans le cadre du mécanisme de contrôle des change, une grande partie des résidents reste excluent des opérations de change alors que le voyage vers l’étranger est libre (avec ou sans visa). Le marché informel des devises offre la possibilité de régler cette contrainte imposée particulièrement aux personnes physiques, sans grever les ressources en devises qui sont dans les circuits bancaires et placées sous le contrôle de la Banque d’d’Algérie. D’ailleurs, il y a certains montants qui passent de l’informel vers les comptes devises ouverts auprès des guichets de banques. De façon générale, c’est toute la problématique de la présence d’un secteur informel puissant dans le fonctionnement de l’économie algérienne.

Qui du pouvoir d’achat des ménages et des entreprises, cette appréciation de la monnaie nationale est-elle de nature à contribuer à l’amélioration du pouvoir de vivre des Algériens et la trésorerie des entreprises ?

L’économie algérienne subit, à l’instar d’autres pays, l’inflation qui a un impact direct sur le pouvoir d’achat des citoyens mais également sur les conditions dans lesquelles les entreprises activent. Pour le moment, l’inflation reste conjoncturelle, transmise essentiellement par le canal du commerce extérieur mais également alimentée par les dysfonctionnements liés à l’économie algérienne (désorganisation des circuits de distribution, spéculation, faiblesse de la production nationale, etc.). Aussi, est-il devenu urgent d’adopter une politique économique de stabilisation des prix, en commençant tout d’abord par un meilleur contrôle dans les dépenses publiques et une politique monétaire adaptée. Auquel cas, le risque que l’inflation devienne structurelle, c’est-à-dire une spirale s’autoalimentant, remettant en causes tous les efforts économiques et les équilibres sociaux.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page