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Bilan et perspectives

Par Kousseila BELLIL et  Moussa BOUKRIF

En matière de lait, et au fil des années, plusieurs programmes ont été instaurés par les autorités dont l’objectif est de promouvoir la production nationale et réduire la facture alimentaire. Aujourd’hui, après tant d’efforts et de budgets, la filière tarde à se défaire de son extraversion et reste indéfiniment assujettie au marché mondial. Ceci est affirmé par la facture substantielle des importations, non seulement en matière de lait (1245.91 millions USD en 2019 selon le dernier rapport du CNIS), mais aussi, de la majorité des intrants de la filière (vaches laitières, aliments, vaccins, équipements, 

La filière a connu une évolution très instructive depuis l’indépendance à nos jours. Elle est un véritable champ d’expérimentations. À l’instar d’un certain nombre de pays tel le Maroc, « La situation initiale se caractérisait par un interventionnisme étatique prononcé car il fallait pallier, dans l’urgence, à la rareté du lait face à une demande en plein essor » (Srairi et Cohen Kuper, 2007). Les politiques laitières adoptées par les pouvoirs publics avant la fin des années 1980 « avaient pour principal objectif une amélioration de la consommation du lait et la satisfaction des besoins de la population » (BENCHARIF. A, 2001), et suivaient plutôt « une logique de consommation plus que de production » (AMELLAL. R, 1995). Ceci avait été favorisé par l’aisance financière qu’a connu le pays grâce aux recettes des hydrocarbures d’une part, et au contexte international caractérisé par les faibles prix des produits laitiers sur le marché international, dus aux excédents de productions au niveau des pays producteurs .

À partir de 1985, l’effondrement des cours du pétrole, principale ressource algérienne, a conduit à l’application du plan d’ajustement structurel, qui a progressivement changé la manière d’intervention en essayant de mettre en place des politiques favorisant la production nationale. Centrées sur la promotion de la production nationale, ces politiques ont été dopées au début du millénaire grâce au renchérissement du pétrole sur le marché mondial.

La chute des prix des hydrocarbures à partir de 2014 a révélé au grand jour, plus clairement encore que par le passé l’ampleur, non seulement, de la vulnérabilité de l’Algérie en matière de sécurité alimentaire (Omari, 2012), mais aussi la défaillance des politiques entreprises, fondées principalement sur les ressources en hydrocarbures.

De nos jours, bon nombre de chercheurs estiment que ces politiques n’ont pas obtenu les résultats escomptés (Belhadia et Al., 2009 ; Ghozlane et Al., 2010 ; Belhadia et Al., 2014 ; Zoubeidi et Gharbi, 2013 ; Mamine et Al., 2012 ;

Cet article se propose justement, d’étudier la question du pourquoi persister à appliquer les mêmes politiques, très consommatrices de fonds, malgré leur échec relatif, vu les faibles performances obtenues et une importation chronique. Ce papier propose d’alimenter le débat sur la politique laitière adoptée en Algérie depuis l’indépendance et tenter d’expliquer les décalages entre les objectifs en termes de i.) Augmentation de la production et ii.) Réduction des importations, ainsi que les réalisations par rapport aux objectifs fixés. La survie des acteurs et des organisations, l’impératif économique, et enfin l’effet historique et de cognition peuvent expliquer cette dépendance à la stratégie déjà désignée.

La notion politique étant polysémique n’est pas utilisée dans son sens large, mais se limite au sens « de la politique comme programme d’action représentant un choix spécifique de moyens en vue d’obtenir certains effets » (Nioche JP, 1982). Selon Greffe (1989), les difficultés de réalisation des politiques, ont conduit ces dernières années à multiplier les plaidoyers en faveur du suivi et de l’évaluation des politiques publiques. Le suivi étant un processus qui consiste à fournir une information pertinente sur les conditions de réalisation et de mise en œuvre de politiques, l’évaluation pour sa part, examine dans quelle mesure les actions de la politique auront réalisés les objectifs impartis.

Eu égard aux contraintes budgétaires dans lesquelles s’inscrit aujourd’hui l’État algérien, connaître l’impact réel des politiques mises en œuvre, notamment budgétaires, semble une nécessité. L’analyse ne porte pas seulement sur des constatations chiffrées mais aussi sur des interprétations et des critères de valeur (Greffe, 1989).

Selon Dunn (1985), les enjeux et la complexité de l’évaluation des politiques publiques font que l’on aura tendance à combiner différentes méthodes. Dans notre cas, nous allons avoir recours à une méta-évaluation, combinée et confortée par une évaluation secondaire à travers une enquête de terrain réalisée entre 2015 et 2016. Cette méthode est destinée à analyser une évaluation ‘primaire’ (à partir de travaux déjà réalisés) à l’aide d’une analyse ‘secondaire’ par des constatations sur le terrain et des rapports officiels.

La métaévaluation permet donc d’accumuler les conclusions tirées lors d’évaluations ’primaires’ et synthétiser les résultats (Wollmann, 2003). Les informations utilisées dans ce travail proviennent de deux sources différentes mais complémentaires. Au niveau empirique, l’exploitation des résultats de plusieurs cas d’études et de travaux en Algérie ainsi que des enquêtes complémentaires auprès des agriculteurs permettra d’évaluer la perception des agriculteurs au niveau de la wilaya de Bejaia et de Sétif.

Il s’agit d’une enquête auprès de 36 éleveurs, choisis au hasard dans la région de Bejaia de de Sétif par des passages multiples, à l’aide d’un questionnaire entre 2015 et 2016. Le questionnaire comporte un volet identification, mode de conduite et des données chiffrées concernant les charges et les produits de l’exploitation pour le calcul des coûts de productions. Au niveau national, les informations concernant les statistiques nationales proviennent de sources officielles (ministère, office national du lait et des statistiques des douanes).

Pour une analyse dynamique de la stratégie laitière algérienne, nous avons opté pour la théorie de la dépendance au sentier pour expliquer le model institutionnel mis en place et la perpétuation des mêmes trajectoires en dépit des résultats obtenus. Parallèlement, nous avons opté pour la théorie des résistances au changement pour expliquer le degré d’adhésion des acteurs et des organisations aux réformes engagées par les pouvoirs publics.

Développée par l’approche néo-institutionnelle, la théorie de la dépendance au sentier s’intéresse aux changements institutionnels dans un cadre historique pour recenser l’impact des trajectoires passées sur les décisions actuelles et futures. Elle souligne selon Barth (2014) « un attachement indéfectible au passé et un rejet aversif du risque et du futur ». North (1990) explique à partir de la dépendance de sentier, la difficulté voir l’impossibilité de changer ou modifier une institution lorsqu’elle est instaurée.

De son côté, Levi (1997) explique cette difficulté du changement par les couts que cela peut engendrer « La dépendance au sentier signifie qu’une fois qu’un pays ou une région s’est engagé dans une voie, les coûts d’un retour en arrière sont très élevés. D’autres options sont possibles mais l’ancrage de certaines dispositions institutionnelles fait obstruction à un renversement du choix initial ». Selon le cas, cet attachement peut être particulièrement difficile dans certains domaines, en raison des rendements croissants (increasing returns) qui selon (Pierson, 2000) sont liés à la prégnance des processus d’action collective, le mécanisme de rendements croissants ou encore d’auto-renforcement, et les processus cognitifs d’interprétation et de légitimation collective des enjeux de la vie politique.

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