Chaînes logistiques et distribution des produits alimentaires

Les produits agricoles importés contribuent à hauteur de 55% des calories consommées par les algériens, ce qui classe l’Algérie dans le top dix des plus grands importateurs de produits alimentaires au monde. Les importations alimentaires pèsent très lourd sur la balance commerciale du pays, en 2019 la facture des importations alimentaires a englouti 22% des recettes pétrolières. Ce sera probablement plus pour 2020. La forte dépendance des marchés mondiaux met l’Algérie en situation de précarité en ces moments de grandes incertitudes sur le fonctionnement de ces marchés impactés par les conséquences de la pandémie de la covid-19. Les risques qui pourraient perturber les importations alimentaires de l’Algérie sont de deux natures : i) risques inhérents à la baisse des disponibilités alimentaires et ii) risques relatifs aux perturbations des chaînes logistiques mondiales. Le premier type de risques est lié aux niveaux de production dans le monde, notamment chez les grands pays exportateurs et importateurs. Ce paramètre va déterminer le niveau de l’offre et de la demande et leur équilibre. Un deuxième type de risque, lié au premier, provient des limitations/interdictions des exportations que certains pays exportateurs peuvent décider pour préserver l’équilibre de leur marché intérieur.
Ces deux types de risques semblent limités dans le contexte actuel pour deux principales raisons, l’importance des stocks constitués par les grands pays, notamment la Chine et les anticipations optimistes sur les récoltes des céréales dans le monde.
L’approvisionnement alimentaire des villes est aujourd’hui assuré par un système très complexe composé d’acteurs privés et publics agissants dans plusieurs segments et à différentes échelles. Le système dont dépend la sécurité alimentaire quotidienne de millions d’individus, constitue une véritable boite noire dont le fonctionnement échappe en grande partie au contrôle de l’État. Son fonctionnement semble globalement efficace, l’approvisionnement des villes n’a jamais connu de ruptures longues et généralisées. Cette efficacité reste toutefois relative et beaucoup de disfonctionnements entachent ce système : pénuries courtes mais récurrentes ; pratiques spéculatives et prix excessifs en période de tension entre l’offre et la demande ; conditions d’hygiène par endroit non respectées, etc. Au-delà de ces disfonctionnements opérationnels, la configuration actuelle du système d’approvisionnement des villes souffre de deux insuffisances structurelles qui plaident pour sa réforme. La première est relative à son incapacité d’assurer une gestion (collecte et diffusion) efficace et efficiente de l’information relative à la demande alimentaire et à l’offre (quantité, qualité, prix, lieu, période). Cette insuffisance explique les décalages périodiques entre l’offre et la demande, notamment pour les produits agricoles frais.
La deuxième insuffisance de ce système est relative à sa capacité de résistance aux chocs extrêmes. La sécurité alimentaire passe aussi par des systèmes d’approvisionnement des villes qui soient résistants à toute épreuve. Il faut donc les structurer et les préparer pour de tels chocs. Les premières semaines du confinement ont été marquées par une forte tension sur certains produits alimentaires (semoule, pâtes alimentaires, lait, etc.) fortement sollicités par les consommateurs pris dans une logique de constitution de stocks alimentaires. Cette tension n’a été jugulée que par l’injection de quantités supplémentaires de ces produits sur le marché. Elle a montré l’incapacité de l’État à contrôler et gérer les stocks de ces produits stratégiques. Dans le système actuel, l’État contrôle les stocks de blés, mais pas ceux des produits dérivés qui sont totalement privés. Il est urgent de remédier à cette insuffisance.
A l’échelle d’un pays, la sécurité alimentaire correspond à un état d’équilibre, entre l’offre et la demande de biens alimentaires, permettant à tous les habitants d’accéder à une alimentation saine et équilibrée pour une bonne qualité de vie. En Algérie, cet équilibre est un acquis stabilisé par l’intervention massive de l’État.
L’offre comme la demande sont en partie financées par le trésor public. Pour soutenir l’offre, l’État importe directement, à travers ses offices spécialisés, ou facilite l’importation par les privés des denrées alimentaires que l’agriculture algérienne ne produit pas, ou pas assez. La demande est appuyée principalement par les subventions des prix à la production et à la consommation. Le recours massif et structurel aux importations, pour ajuster l’offre alimentaire à une demande sans cesse croissante, a fini par approfondir la dépendance à l’égard des marchés mondiaux mais aussi à désarticuler les différents segments du système alimentaire national. La pandémie de la Covid-19, qui secoue le monde depuis le début de cette année, met à nue les limites de la dépendance alimentaire des marchés mondiaux. Elle nous rappelle, une fois de plus, que la sécurité alimentaire n’est réelle que si elle est basée sur un système alimentaire où les différents segments sont performants, intégrés, innovants et dotés d’une grande capacité de résiliences aux chocs extérieurs. Pour réunir ces caractéristiques, le système alimentaire doit produire d’une manière durable, et ses acteurs doivent agir collectivement pour relever les multiples défis d’aujourd’hui et de demain.
Recommandations
Il est aujourd’hui nécessaire et urgent de procéder à l’identification, la plus fine possible, des ménages concernés par la perte de pouvoir d’achat ; notamment les travailleurs journaliers en chômage forcé et sans couverture sociale. Une mise à jour régulière et fréquente de ces données est également une nécessité pour s’assurer que les mesures gouvernementales bénéficient à tous ceux qui ont en le besoin.
Les autorités publiques doivent mettre en œuvre les mécanismes nécessaires pour éviter toute rupture/retard d’approvisionnement en intrants agricoles (facilitation des procédures douanières et de contrôle) ou renchérissement de ces intrants (adaptation conjoncturelle des taxes à l’importation et à la commercialisation, contrôle des stocks des importateurs).
Le modèle de croissance agricole est difficilement soutenable à long terme, même s’il ne s’agit pas d’une caractéristique spécifique à l’Algérie. La transition vers un modèle de croissance basé sur l’amélioration de la productivité des facteurs est plus que nécessaire pour maintenir et améliorer le taux de croissance agricole actuel. Un défi stratégique au regard de l’évolution attendue de la population (51 millions et plus de 70 millions d’habitants respectivement en 2030 et 2050, selon l’ONS), et des perspectives d’accentuation du stress hydrique, sous l’effet du changement climatique.