
Par : Abbaci Ayoub et Redjdal Rosa
L’objectif de cet article est d’enquêter sur l’état des lieux de l’application de la loi algérienne relative au e-commerce et de lui faire un diagnostic. Pour y parvenir, nous avons tenté d’analyser un échantillon composé de douze (12) sites algériens de commerce électronique. Nous avons mis en exergue la conformité de leur forme et conditions de vente aux dispositions de ladite loi. Notre enquête a pu démontrer que la majorité des opérateurs de l’activité ne se sont toujours pas entièrement conformés à la législation. Nous avons par ailleurs signalé plusieurs lacunes dans la législation actuelle qui risquent de freiner l’évolution du commerce électronique en Algérie.
I- Introduction
Depuis les années 1990, les progrès en matière d’informatique et des TIC (Technologies de l’information et de la communication) ne cessent de se multiplier. Au cours de ces trois dernières décennies, les systèmes d’exploitation à interface graphique ont été développés, les ordinateurs devenaient de plus en plus performants, les réseaux de télécommunication s’étendaient et leur qualité s’améliorait, l’accès à internet pour le grand public a été rendu possible et les navigateurs Web se sont apparus, les smartphones et les tablettes ont vu le jour et des startups activant dans ce secteur se sont transformées en des géants d’internet.
Ces progrès sont à l’origine d’une évolution continue du nombre d’internautes qui est estimé en 2019 à plus de 4 milliards et demi dans le monde. En Algérie par exemple, le nombre d’internautes est passé de 50 mille en 2000 à plus de 25 millions en 2019 (« Internet Users Statistics for Africa », 2019). Le taux de pénétration dans notre pays, avoisine aujourd’hui les 60%. Cette réalité a poussé les gouvernements et les organisations internationales à reconnaitre la nécessité de mettre en place des cadres juridiques relatifs aux différents enjeux liés à l’usage d’internet. Ces cadres s’intéressent généralement à la protection des données à caractère personnel et privé, au respect du droit de la propriété intellectuel, à la lutte contre la cybercriminalité et à l’encadrement des échanges électroniques. Ces échanges commerciaux sur internet sont actuellement reconnus comme une activité économique à part entière ayant ses propres règles et pratiques, et qui est exercée même par de grandes entreprises à l’instar d’Amazon qui est considérée comme l’un des quatre grands d’internet GAFA (Google – Apple – Facebook – Amazon).
En effet, le nombre d’états ayant mis en place des législations relatives au commerce électronique augmentait au fur et à mesure que le volume des échanges commerciaux sur internet s’intensifiait. Parallèlement à cela, les chercheurs s’intéressaient à la réglementation en tant que facteur de développement du commerce électronique et étudiaient les cas de plusieurs pays où les mécanismes juridiques ont contribué à donner de l’ampleur à l’activité (Al-Ghaith, Sanzogni, & Sandhu, 2010; J. Gibbs, Kraemer, & Dedrick, 2003; J. L. Gibbs & Kraemer, 2004; Kabango & Asa, 2015; Palacios, 2003).
L’Algérie a rejoint récemment ces états en adoptant en 2018 une loi qui vise à fixer les obligations des fournisseurs et des consommateurs sur internet. Elle également considérée comme une autorisation officielle à exercer légalement l’activité en Algérie et de la faire sortir de sa clandestinité qui a duré plus de dix ans (OuedKniss est l’un des premiers sites à caractère commercial. Il a été créé en 2006).
Problématique et hypothèses de recherche : La loi susmentionnée a donné un délai de six mois à partir de la date de sa publication aux sites qui activaient dans le commerce électronique pour se conformer à ses dispositions et respecter ses exigences. Il serait donc utile, une année après, de se demander si les ecommerçants se sont adaptés aux nouvelles conditions de cette loi et si celles-ci permettraient vraiment d’apporter un plus au commerce électronique en Algérie. Par conséquent, notre problématique tente de répondre à la question centrale suivante : Les dispositions de la loi relative au commerce électronique sont-elles respectées par les entreprises et propices au développement de l’activité en Algérie ? Pour répondre à cette question, nous avons formulé les trois hypothèses suivantes :
H1 : Les sites de commerce électronique se sont conformés aux dispositions relatives à la communication au consommateur des coordonnées de l’entreprise et des différentes conditions du contrat.
H2 : Les e-commerçant élaborent leurs contrats de vente dans les conditions de paiement, de livraison, de retour et de remboursement prévues par la loi.
H3 : La loi dans sa conception actuelle comporte plusieurs lacunes et est insuffisante voire contraignante au développement du e-commerce en Algérie. Importance de l’étude: Les recherches sur le commerce électronique en Algérie sont relativement récentes.
Elles se sont intéressées notamment à l’étude de l’environnement algérien et de ses obstacles (Guendouz, 2011), au potentiel du marché du e-commerce (Makhloufi & Belattaf, 2013) ou encore à la réalité et à l’état des lieux de l’activité (Teniou & Dehane, 2019) (Serraa & Kourbali, 2019; Teniou & Dehane, 2019). S’agissant des études relatives à la législation algérienne du e-commerce, la plupart d’entre elles se sont penchées sur son efficacité dans la protection du consommateur (Baadji, 2019; Boulekouas, 2017) ainsi que dans la lutte contre la cybercriminalité (Saidi, 2019). En s’intéressant à la conformité des commerçants électroniques à la loi et en menant une analyse critique des dispositions de cette dernière, notre étude va au-delà des études antérieures en abordant la législation en tant que facteur de développement de l’activité et non pas comme un simple moyen de protection du consommateur. Notre étude espère aussi contribuer à l’amélioration du cadre juridique actuel et à son enrichissement à travers des recommandations visant à combler ses lacunes. II- Revue de littérature : Une brève revue de la littérature sur le sujet est nécessaire, afin de mettre l’accent sur le concept de « e-commerce » et les facteurs favorisant son développement, et pour discuter de l’impact du volet juridique et réglementaire sur la propension des entreprises et des consommateurs à réaliser des transactions en ligne.
I-1- Qu’est-ce que c’est que le e-commerce ?
Le e-commerce comprend l’ensemble des transactions commerciales s’effectuant via les technologies de l’information et de la communication (TIC) mettant en relation des entreprises, des consommateurs ou des gouvernements (Bathelot, 2017). Ces technologies incluent notamment Internet et les différents terminaux utilisés dans les télécommunications tels que les smartphones, les tablettes ou les ordinateurs ainsi que les technologies EDI (Electronic Data Interchange). Pour éviter toute confusion avec d’autres concepts qui entrent dans le même cadre d’analyse, la notion du « e-commerce » est à distinguer des autres concepts proches à l’instar du « ebusiness » ou du « e-marketing ». En effet, le e-business couvre un périmètre beaucoup plus large que le e-commerce et correspond à l’utilisation des TIC dans toutes les activités de l’entreprise (recherche et développement, marketing, production, logistique en amont et en aval) en vue d’attirer et de retenir les bons consommateurs et partenaires d’affaires. Par ailleurs, le e-marketing a pour objectif d’attirer et de fidéliser les clients tout en s’intégrant aux outils marketing traditionnel dans une stratégie marketing multicanal (Bressoles, 2012, p. 9).
I-2- Les modèles d’affaires en e-commerce Un modèle d’affaires ou Business model est l’outil qui reflète la façon dont une entreprise produit, distribue et récupère de la valeur. Concrètement, il s’agit de la manière de la génération du revenu et de la distribution des produits et services de l’entreprise aux clients. Son objectif est d’analyser et de comprendre comment les flux de revenus et de coûts sont organisés afin de prévoir l’organisation nécessaire (Delabre, 2017, p. 20).