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La Madrague livrée à l’informel et à l’insécurité

Par Abdelhamid Benhamla

Il n’y a pas que les anciens qui vivent la nostalgie du havre de paix que constituait la Madrague. Les générations de l’indépendance avaient goûté le charme des lieux, où s’y détendre est un plaisir qui se perpétue chaque été, chaque printemps, chaque automne, chaque week-end et pour les plus proches, chaque jour est du pain béni.

 

Il y a la mer, le soleil, la brise marine, le bruit des petites vagues venues de loin donne une tonalité particulière si sublime qu’elle enivre les plaisanciers, les visiteurs d’un jour et les riverains trop nombreux pour un site aussi délicat. La Madrague a vécu des moments de gloire avec la jeune entreprise algérienne Altour qui y développait un tourisme professionnel faisant le bonheur des visiteurs. Elle était trop petite pour les flux qui y séjournaient. La déboumedienisation engagée par Chadli Bendjedid a détruit le tissu industriel et libéralisé l’économie. Cette politique suicidaire a, évidemment, entraîné une mort lente du tourisme en Algérie, dont le charme attirait le Paris Dakar, la culture cinématographique glanait la palme d’or à Cannes, les petits algériens, nés de la réforme sportive, battaient les Allemands en coupe du monde. Le tourisme est une culture qui ne cohabite pas avec la gabegie, l’ignorance  et l’islamisme conservateur et réactionnaire. Le peuple a prouvé sa profonde conviction musulmane pendant 130 ans de colonisation abjecte. Altour dissoute, ses biens remis à l’APC en 1985. Celle-ci s’engouffre dans un terrain qui lui est étranger et en louant à tout va, elle ne pouvait, par incompétence primaire, séparer le bon grain de l’ivraie. C’était l’époque de l’autoconstruction sur les meilleures terres agricoles de la région. Le décor est ainsi planté, la destruction peut commencer. L’argent avait coulé à flots au profit de la mairie mais la zone n’a bénéficié d’aucune retombée, puisque le site vieillit vite par une exploitation extrême qui détruit l’écosystème. Il ne faut pas dire aux connaisseurs qu’un ministre algérien, d’obédience connue, a construit une plage artificielle dans un pays ayant une façade maritime de 1 600 km (1 200 à vol d’oiseaux). La Madrague et ses commerçants ont survécu à toutes les pressions et Dieu seul sait qu’elles furent nombreuses. Les initiateurs du projet de construction de la mosquée ne savaient quel grand service rendaient-ils aux travailleurs et aux usagers de la Madrague, ils devaient se rendre au centre-ville pour accomplir leurs devoirs religieux. Oui, à la Madrague, les musulmans sont très nombreux et gagnent leur vie à la sueur de leurs fronts.

Le tourisme est une industrie qui nourrit des pays entiers et qui forment les jeunes et les moins jeunes. La Madrague est, aujourd’hui, sacrifiée sur l’autel de la déraison et de l’inculture. Les APC successives depuis la dissolution d’Altour se sont contentées de prendre les loyers de toutes les activités amont et aval du tourisme sans se soucier des servitudes et de l’entretien du vieux bâti, usé par la mer et le temps. Depuis 20 ans, aucune APC n’a daigné prendre ses loyers de la Madrague. Faut-il préciser que c’est par incompétence et non par laisser-aller que les prix des nouveaux loyers n’ont jamais été convenablement fixés. Les délibérations portant révision des loyers avaient été rejetées pour vice de forme ou bien pour des raisons de prérogatives. Les services des domaines sont compétents en la matière mais il paraît qu’ils refusent de faire le travail à la place des élus. Un statu quo qui persiste malgré les efforts de cette dernière assemblée qui donne l’impression qu’elle est loin du bout du tunnel. Les montants cumulés de 20 ans de loyers impayés sont faramineux. Les solutions de facilité plaident pour des calendriers de payement étalés dans le temps. Les locataires peuvent payer mais quel rôle pour le propriétaire des lieux dans l’entretien des façades extérieures, dans l’embellissement du site, dans le ramassage rapide des déchets et dans le maintien de la propreté en général. L’APC n’a pas vocation de veiller à la satisfaction des besoins des citoyens en matière de détente et de loisirs. Elle n’en a ni la compétence, ni les moyens financiers avant une probable et hypothétique réforme de la fiscalité locale. La solution idoine doit provenir de l’APC elle même qui pilotera des actions concertées avec tous les intéressés et tous les concernés. Pouvoir entretenir les biens de la Madrague en toute propriété avait été un choix hasardeux et dévastateur ; pour preuve, que reste-t-il ? Rien de ce qui faisait le bonheur des visiteurs. Le coup de grâce a été donné par de petits responsables en mal d’islamité ou voulant se donner de l’épaisseur bloquent les projets, retardent d’autres, refusent carrément l’ouverture de nouveaux restaurants. Beaucoup pensent que l’administration du  tourisme est minée à des niveaux différents par des sensibilités islamistes «bon enfant». Il est  possible de rencontrer ce genre de personnage sans remarquer quoique ce soit. Elle peut être une vieille fille, haute d’un mètre au plus, murmurant n’importe quoi avec une tonalité religieuse. Il peut être un homme d’un âge certain ayant fait une omra et qui aime être appelé El Hadj, celui qui rejette les agréments pour le commerce des boissons douteuses. Il est plutôt rare de trouver un islamiste en tenue d’époque, barbe et gandoura avec béret afghan. Le tourisme dans notre pays est le parent pauvre de tous les secteurs confondus. Il est battu par le pétrole qui le relègue dans un non rôle, il est isolé par l’islamisme puérile, il est sacrifié au profit des Tunisiens et du reste du monde.

 

Le dilemme des élus

 

Tout a été recherché pour trouver le bon filon qui permet à l’APC de tirer profit des loyers et de se laver les mains, mais il ne peut y avoir des solutions miracles. Garder le niveau actuel des loyers des biens touristiques supposés lui appartenir ne lui donne pas les capacités financières pour assumer un rôle supposé aussi être le sien. Augmenter les loyers fermerait l’écrasante majorité des commerces. Que feront les autorités des budgets prévisionnels gonflés et l’argent qui ne remplira jamais les caisses ?

 

Quelle solution pour quel avenir ?

 

À la base, il faut relire l’arsenal juridique, législatif et réglementaire. Les activités à la Madrague sont encadrées par un arrêté ministériel portant un cahier des charges. Il est en cours de validité. Il suffit de mobiliser la direction du tourisme d’Alger, créée elle même par un texte réglementaire, et lui faire jouer le rôle qui est officiellement le sien. À ce moment, l’APC cédera ses biens aux commerçants moyennant payement à hauteur de la valeur vénale légale. C’est l’unique solution pour que les élus aient le temps et les moyens pour faire face aux dizaines de milliers d’âmes venues se loger dans les logements bâtis sur les terres les plus fertiles de Ain Benian. Aucune nouvelle route n’est prévue, aucun hôpital, même pas la maternité promise, pas de nouveaux marchés… Les responsables locaux peuvent se pencher sur l’espace existant entre la mosquée et la ferraille de la police (mais pourquoi se trouve-t-elle sur un terrain touristique), doit être exploité pour de nouvelles infrastructures touristiques, futures sources de financement pour la collectivité. Lorsque tout ce programme est mis en valeur, la mairie aura la responsabilité du devenir de la Madrague qui reste sous son autorité administrative et la direction du tourisme veillera à la satisfaction des besoins des usagers de  la Madrague par tout temps. Elle fera en sorte de susciter l’émergence d’un office qui veillera à l’entretien du site et à son animation pérenne pour les enfants et pour les adultes. Toute nouvelle structure émargera sur le budget de l’État et utilisera les revenus liés aux activités sans que celles-ci soient à but lucratif. Aujourd’hui, le site menace ruine, des restaurants squattés, une nuée de jeunes, plus nombreux que tous les magasins fermés, vendent au noir tout ce qui est interdit. Le gouvernement a montré sa volonté de faire de ces lieux une véritable station d’un tourisme singulier, non sédentaire et très animé.

Il avait élaboré un règlement d’urbanisme spécifique et a prévu de classer l’agglomération comme site touristique à part entière. Dans son cahier des charges, dont le CNRC omet de le prendre en considération, il y est interdit de faire autre chose que le tourisme. Les activités insalubres ou bruyantes, odorantes et polluantes sont bannies sur ces lieux (à l’image des travaux de tôlerie, de peinture, de mécanique générale, de ferronnerie, de menuiserie, de vente de produits alimentaires dont les conditions non conformes aux règles d’hygiène). Il y est particulièrement interdit de construire sur l’estran des kiosques, commerces provisoires et des gargotes appelées quatre saisons. D’un autre côté, le gouvernement précise que toutes les activités commerciales à implanter devront recevoir, en plus des procédures d’usage, l’aval de la commune. Les dispositions prises par l’État sont plus avancées que celles revendiquées ici ou là. Il est attendu, souhaité et voulu que des réaménagements ou la modification d’équipements touristiques aient lieux pour casinos, bars, cafés, musée et piscines… Il reste à la commune, première responsable du site, d’améliorer les fonctions urbaines propres au littoral et leur maintenance, la gestion des plages et des espaces verts, les équipements nautiques et la requalification des espaces fréquentés. C’est dire que la tâche est immense, complexe et relève plutôt d’actions solidaires dans l’intérêt de tous les protagonistes. Les sources de financement sont multiples et les problèmes futurs avérés, attendus logiquement au vu du nombre important de nouvelles âmes sédentarisées et dont les besoins sont proportionnels à leur densité. Le Fonds Commun des Collectivités Locales est en cours de  reconstitution de ses capacités financières, après avoir financé les zones d’ombre à hauteur de 100 milliards de dinars (10 000 milliards de centimes). Je présume que le plus gros problème de tous les temps à Ain Benian est celui du ramassage des déchets ménagers qui s’aggravera parce qu’il y a lieu de prendre en compte quotidiennement de 1,5 kg par âme nouvellement installée. Il faut donc 24 camions de 2,5 tonnes ou 24 rotations supplémentaires par jour. La commune gagnerait à introduire un ou des dossiers d’investissement, à but lucratif, au FCCL pour subvenir aux besoins des citoyens. L’installation de panneaux publicitaires à louer aux annonceurs est aussi une niche substantielle de revenus. Dans tous les cas de figure, consulter les citoyens pour tout ce qui les concerne et les associer dans la prise de décisions est le summum de la démocratie.

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