La politique économique globale et la gouvernance

Par Slimane Bedrani et Amel Bouzid
Les zones steppiques sont particulièrement touchées par la désertification. Déjà en 1985, un expert, ayant beaucoup travaillé sur les pâturages en Algérie et dans le Maghreb, estimait que le potentiel de production fourragère de la steppe se serait réduit de 75% entre 1965-1975 et 1985. Les zones dégradées, relativement modestes et localisées dans les années cinquante, se sont étendues et devenues jointives sur de vastes superficies des zones steppiques (Le Houérou, 1985). Melzi (1993) montre que la phytomasse d’un site à alfa, situé sur le piémont nord de l’Atlas Saharien (au nord de Messaad, wilaya de Djelfa), est passée de 6 500 à 50 et 1 000 kg de matière sèche à l’hectare, respectivement en 1968, 1990 et 1992, cette dernière année étant une moyenne du point de vue pluviométrie. Aïdoud (1994), l’un des chercheurs qui ont sans doute effectué le plus de suivis longs de la végétation steppique, confirme la baisse sensible de la productivité de la steppe sur longue période. Sur les deux zones qu’il a étudiées (Rogassa dans l’ouest algérien), la couverture par l’alfa est passée de 40 à 13 % et la couverture de sparte de 47 à 42 % entre 1976-1977 et 1990-1991 (avec une pluviométrie identique pour les deux périodes : 250-300 mm). Sur les 20 millions d’hectares que compterait la steppe algérienne, les documents officiels en recensent 5 millions très fortement dégradés. Mais cette estimation date de 1984. Depuis, le cheptel a continué d’augmenter et plusieurs années de sécheresse sévère se sont succédé. Bédrani et Nedjraoui (2007) notent qu’en 1978, deux tiers des parcours avaient un recouvrement supérieur à 25% (chiffre-seuil à signification biologique importante) alors qu’actuellement, seulement 10% présentent un recouvrement de cet ordre. Ils ajoutent que les formations psammophiles (non consommées par les ruminants), inexistantes en 1978, ont connu une extension due à un ensablement plus important durant la période sécheresse de 1981-1987 et que les vents de sable sont plus fréquents dans la région. Ils affirment, enfin, que ce phénomène a atteint un niveau préoccupant et souvent des seuils de dégradation irréversible sont observés dans ces écosystèmes fragilisés par des pressions anthropiques constantes. Nedjraoui (2001) affirme que le potentiel fourrager est passé de 1,6 milliard UF en 1968 à 533 millions UF en 1996. Outre les forêts et la steppe, les sols de façon générale connaissent une dégradation avancée du fait de l’érosion hydrique et éolienne. Ainsi, 85% de la surface totale des terres cultivables est soumise à une dégradation élevée intéressant 6 millions d’hectares. Cela influe fortement sur la mobilisation des ressources en eau du fait de l’envasement des barrages. Causes de l’état actuel, la dégradation des ressources naturelles, particulièrement les sols et les ressources végétales, et la persistance d’un taux élevé de pauvreté s’expliquent en grande partie par la combinaison de plusieurs facteurs, à savoir la croissance démographique qui reste forte dans les zones rurales, la faiblesse de l’investissement qui explique l’offre d’emplois encore insuffisante dans ces zones et l’utilisation peu efficiente des ressources publiques. La population rurale a régressé en termes relatifs (69% en 1966, 60% en 1977, 50% en 1988 et 39% en 2001), mais elle s’accroît en termes absolus (+ 539 000 entre 1988 et 1998). La population des zones steppiques, les plus menacées par la désertification, a été multipliée par 3,5 entre 1966 et 1998. Parallèlement à cette croissance de la population rurale, la création d’emplois se fait principalement dans les zones urbaines. Dès lors, les populations rurales en état de chômage ou de sous-emploi font pression sur les ressources naturelles pour assurer leur subsistance. Les populations riveraines des forêts les surpâturent, celles des zones steppiques font de même tout en accroissant les défrichements pour cultiver les céréales nécessaires à leur consommation et à celle de leurs cheptels. Les politiques d’investissement public et les politiques d’encouragement à l’investissement privé ont été insuffisantes pour éradiquer le chômage et le sous-emploi dans les zones rurales. Les industries, dont la multiplication devait absorber de plus en plus les ruraux dont particulièrement ceux en excédent dans l’agriculture, ont été insuffisamment développées et, souvent, de façon très capitalistique. En effet, après avoir atteint 17,4% de la population active en 1977, les travailleurs de l’industrie n’en forment plus que 13,2% en 2005 et 14,2% en 2006. Les investissements publics concernent les infrastructures routières, éducatives, sanitaires, énergétiques. Alors que certaines infrastructures ont été bien développées, comme l’électrification rurale, les écoles, les centres de santé, d’autres leur reste peu. Il en va, ainsi, du réseau routier et de l’infrastructure de télécommunication qui manquent à beaucoup de communes. Or, ces infrastructures sont indispensables au développement économique. La pauvreté persistante d’une partie de la population, l’état de sous développement dans lequel se trouve l’Algérie, la persistance d’une croissance économique faible, l’incapacité à lutter efficacement contre la dégradation des ressources naturelles trouvent leur explication ultime dans la nature du système politique sous lequel vit le pays depuis son indépendance et dans le type de gouvernance qui en découle. Contrairement aux époques anciennes où le développement du capitalisme s’est fait sous des systèmes politiques autoritaires peu soucieux de démocratie et de liberté pour le plus grand nombre, en ce début du 21ème siècle, un système politique libéral et démocratique, qui implique une bonne gouvernance, est indispensable au développement économique. En effet, les populations de la plupart des PVD d’aujourd’hui sont dans des situations radicalement différentes des populations européennes des 18ème et 19ème siècles (ou même du début du 20ème siècle) : plus alphabétisées, plus informées, plus soumises aux modèles de consommation des pays développés, elles disposent aussi d’élites intellectuelles qui ne se contentent pas toujours de servir les puissants (lesquels, par ailleurs, n’arrivent pas à toutes les utiliser). De ce point de vue, le système politique algérien est formellement de type démocratique : le pluripartisme existe, un parlement est élu régulièrement, une constitution établit les règles du jeu démocratique, affirme la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire), consacre la liberté de presse et de pensée… Dans la réalité, le système politique algérien consacre la main mise d’un petit groupe de privilégiés sur la gestion des richesses nationales. Ce groupe développe, depuis l’indépendance, une idéologie et des politiques de type populiste utilisant la rente pétrolière pour se maintenir au pouvoir. Sauf dans les années soixante-dix où ce groupe, alors composé majoritairement de nationalistes, a développé une velléité d’industrialisation du pays, depuis les années 1980, il a maintenu un calme social relatif en redistribuant la rente pétrolière sans en faire un instrument de croissance et de développement. Les caractéristiques d’une bonne gouvernance, qui seule peut permettre un décollage rapide et durable de l’économie, n’ont jamais été réunies. Ces caractéristiques ont été définies par Kaufmann A. Kraay et M. Mastruzzi (2006) qui les déclinent sous forme de six indicateurs de six dimensions de la gouvernance, ces dernières étant la participation et la responsabilité, la stabilité politique et l’absence de violence, l’efficacité des services gouvernementaux et des services publics, la qualité de la régulation, l’État de droit et le contrôle de la corruption. En Algérie, actuellement, aucun de ces indicateurs ne présentent un niveau suffisant ainsi que le montrent Bédrani et Bouyacoub (2007). Conclusion, bien que placée dans des conditions climatiques relativement difficiles, l’agriculture algérienne présente des potentialités encore inexploitées dont la mise en valeur lui permettrait de diminuer sensiblement sa dépendance alimentaire, même si on peut admettre que le déficit alimentaire présente un caractère structurel. Le développement rural a bénéficié de la redistribution de la rente pétrolière mais celle-ci a des effets pervers qui bloquent le développement global du pays à la fois sur le plan économique, social et politique. L’argent facile de la rente n’incite pas les groupes politiquement dominants à créer une économie de production et à pratiquer une bonne gouvernance globale.