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Les réformes engagées manquaient de visibilité et de cohérence

Par HAMMADENE Ouiza et MOUHOUBI Aïssa

D’après les résultats de la régression, on note que, les signes obtenus ne correspondent pas aux signes attendus et d’un point de vue économique, les variables sélectionnées ne contribuent pas à la croissance du PIB/Habitant (à l’exception des revenus issus des exportations des hydrocarbures). Cela n’est pas aussi surprenant étant donné que l’Algérie constitue un cas d’étude atypique. En effet, contrairement à la théorie économique, les résultats de l’étude montrent que les instituions ont un effet négatif sur la croissance économique en Algérie.

Ce résultat s’explique, selon certains auteurs, par le fait que les pays richement dotés en ressources naturelles peinent à créer une structure institutionnelle de qualité. En effet, Arezki et Gylfason (2012) et Ross et al. (2015) ont souligné que dépendance excessive vis-à-vis des revenus des ressources naturelles nuit à la qualité des instituions en développant des comportements de recherche de rente. En effet, il serait fallacieux d’étudier une facette de l’économie de l’Algérie sans essayer de comprendre la manière dont les hydrocarbures déterminent la relation entre l’État et la société. Entre 2000-2018, les exportations algériennes ont représentées plus de 90% des exportations totales. Cela relève la dépendance du pays vis-à-vis des ressources naturelles notamment le pétrole et le gaz.

Les revenus considérables issus de des exportations des hydrocarbures ont aggravé les comportements de recherche rente et ont proliféré une corruption qui touche toute la structure socioéconomique du pays. Ces revenus offrent aux élites le pouvoir de maintenir et renforcer leurs dominations non seulement du champ politique mais aussi du champ économique. Cette élite aisée, afin de préserver leurs privilèges, résiste aux réformes structurelles et institutionnelles et retarde l’émergence d’un l’État moderne et d’une économie productive. Effectivement, l’Algérie s’enlise dans les tréfonds des classements mondiaux concernant la qualité des instituions. Selon le dernier rapport du Transparency International (2018), l’Algérie se classe parmi les pays les plus minés par la corruption. Heritage Foundation, un important think tank américain, mesure la liberté économique en regroupant quatre grandes catégories la liberté économique à savoir l’Etat du droit, la taille du gouvernement, l’efficacité réglementaire et l’ouverture des marchés, classe l’Algérie 174/180 pays. Aussi, dans le rapport de Doing business (2018), l’Algérie est presque à la traine dans le classement concernant l’accès au crédit, la protection des investisseurs minoritaires, l’enregistrement de propriété et le lancement d’un business. Critères essentiels pour asseoir une économie de marché performante. S’agissant des réformes économiques, les résultats montrent qu’elles ne contribuent pas à la croissance économique. Ce résultat est intuitif car la réussite de toute réforme nécessite une assise institutionnelle de qualité permettant la mise en œuvre d’une bonne stratégie de réforme. 

En Algérie, il se trouve que les réformes engagées manquaient de visibilité et de cohérence. Cela est dû principalement aux innombrables gouvernements qu’a connus le pays depuis le lancement des réformes. Chaque gouvernement avait sa propre version de réformes remettant ainsi en cause la version précédente. Ce qui cause, en filigrane, un chevauchement dans le processus et le non dépassement de la phase embryonnaire du processus. Plus encore, le cheminement de réformes est soumis aux circonstances des afflux des pétrodollars. En effet, dans les périodes de flambée des prix de l’or noir, on assiste souvent à un reniement du processus de réformes. Cet état de chose n’est pas sans effet sur les acteurs économiques privés. En effet, nos résultats montrent bien que les crédits accordés aux opérateurs privés ne participent pas à la croissance économique. Plusieurs hypothèses expliquent cette situation, la plus plausible est que les entreprises privées peinent à trouver des financements. En Algérie, le système financier est dominé par les banques publiques qui subissent une vocation dirigiste de l’Etat. En effet, en 2017, les crédits distribués par les banques publiques est prédominants avec 86,8 % de part de marché contre 13,2 % aux banques privées (selon la Banque d’Algérie). Ces banques publiques privilégient les entreprises publiques en termes de financement et exclut les PME. Les données de la Banque Mondiale étayent nos propos. Selon son rapport de 2017, le crédit alloué au secteur privé en Algérie est un peu plus de 24% du PIB.

Il est loin derrière le Maroc (63%) et la Tunisie (81%) et trop loin de la moyenne mondiale qui dépasse les 128%. Outre des difficultés d’apprentissage, du climat des affaires, viennent s’ajouter d’épineux problèmes de financement pour condamner le secteur privé à se cantonner dans une situation de blocage permanente. Et une fois de plus, la rente s’emmêle pour expliquer ce blocage. En effet, cette dernière en permettant des recapitalisations répétitives des banques publiques empêche l’émergence d’un secteur bancaire moderne. Les revenus pétroliers, qui participent positivement et très significativement à la croissance économique selon nos résultats, irriguent tous les segments de la vie socioéconomique du pays. Le secteur des hydrocarbures est devenu un facteur de croissance économique en procurant à l’Etat des ressources financières considérables lui permettant d’amorcer des investissements de grandes envergures. Toutefois, il va sans dire que cette croissance est de mauvaise qualité. Car, bien que ces revenus aient permis au pays d’être riche financièrement, ils l’ont rendu très médiocre économiquement. Dans les faits, ce modèle de croissance fondé sur la redistribution des recettes pétrolières et gazières par le secteur public évince les autres formes du capital et a des répercussions sur la réussite des objectifs de développement. Effectivement, comme le ressortent les résultats de la régression, les dépenses publiques ne participent pas à long terme à la croissance économique. Ce résultat corrobore avec les concluions de Bouyakoub (2012) qui soutient que les dépenses publiques sont insoutenables à long terme. En effet, étant tributaires de la disponibilité des ressources des hydrocarbures, les dépenses publiques ont servi pour acheter la paix sociale au détriment de politiques publiques prédictibles et prévisibles au service des besoins réels de l’économie. Cela a induit des politiques de replâtrage et le gaspillage de l’argent public comme le témoignent les nombreux scandales relatifs aux investissements publics et le renflouement récurrents des entreprises publiques dysfonctionnelles. Pratiques encourageant le syndrome de la contrainte budgétaire lâche32 chère à l’économie administrée. 

Conclusion 

La présente étude a tenté de poser le lien entre qualité institutionnelle et transition vers l’économie de marché en Algérie. L’hypothèse de départ que nous avons posé semble être rejetée pour le cas algérien. En effet, l’analyse des séries chronologiques pour la période 1980-2016 par l’estimation d’un VECM a montré que les instituions ne soutiennent pas les pratiques relevant d’un système de marché. L’organisation institutionnelle déficiente en vigueur en Algérie retarde l’émergence d’un entrepreneuriat privé, pierre angulaire d’une économie de marché, et d’un Etat moderne ayant pour vocation première la croissance et le développement. Elle érode toute velléité d’instaurer un authentique système de marché et perpétue des politiques tout azimut et des solutions de facilité qui ne font qu’enliser davantage le pays dans une situation de marasme. Cette structure institutionnelle dysfonctionnelle se nourrit de la rente issue des hydrocarbures. En effet, cette dernière est accaparée par une coalition qui n’est pas prête à déroger à un mode de gestion rentier et distributif pour s’accommoder avec des pratiques relevant du marché. L’Etat, qui peut être l’initiateur des réformes, se trouve privatisé pour être lui aussi une source de captation. Par conséquent, le pays s’enfonce dans une profonde trappe de transition permanente.

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