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L’illégalisation de l’économie»

Par  Youghourta BELLACHE

La thèse (implicite) de Henni présentant l’économie parallèle comme une forme de transition à l’économie de marché parait fragile sur plusieurs points. D’abord, les activités informelles ne sont pas uniquement le résultat ou la réponse aux dysfonctionnements de l’économie administrée, elles sont aussi et dans une large mesure une conséquence du développement du secteur privé et de façon plus large du système capitaliste, qui pour abaisser ses coûts et maximiser ainsi ses profits informalise de plus en plus ses activités (recours au travail à domicile, à la sous-traitance, travail non déclaré, etc.) (Portes, Benton et Castells, 1989). 

Ceci est également vrai pour le cas de l’Algérie même si le capitalisme n’est pas aussi développé qu’ailleurs et peine toujours à se mettre en place. En outre, certaines activités informelles (activités de survie et pluriactivité) constituent une réponse aux conséquences sociales induites par les politiques d’ajustement et le fonctionnement de l’économie de marché (Lautier, 1989, 1994). 

Il est également établi que le secteur informel n’est pas un secteur homogène, composé de micro-entreprises (capitalistes) animées uniquement par une logique de profit ; nombre des micro-entreprises informelles sont essentiellement animées par une logique sociale (Lautier, 1994). L’idée de la structuration de l’économie informelle en réseaux, dominés par des marchands, suggère la soumission des activités informelles au capital, qui ne reflète pas toute la diversité du secteur informel. Enfin, en se focalisant sur la sphère de la distribution, Henni néglige l’économie informelle de production, qui est loin d’être quantité négligeable.

Dans ses analyses sur l’économie informelle en Algérie, Bounoua (1995, 1999, 2002), sans nier l’existence d’un secteur informel de subsistance, se focalise sur l’économie souterraine, qui connaît selon lui une expansion considérable dans l’actuel contexte de transition à l’économie de marché. En effet, la libéralisation de l’économie (particulièrement l’ouverture du commerce extérieur), accentuée par l’application du PAS à partir de 1994, a induit un développement remarquable de pratiques informelles et illégales aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé (transfert illicite de capitaux à l’étranger, fraude et évasion fiscale, faux bilans, trafic de devise, corruption, etc.). L’auteur propose ainsi une grille d’analyse de l’économie informelle en cette période de transition économique et politique basée sur le concept d’ «illégalisation de l’économie». Celuici désigne « le processus par lequel des agents économiques dont les activités économiques sont parfaitement légales sur le plan juridique sont amenés en raison de l’ambiguïté de la loi et de sa faible application à adopter des comportements illégaux en contournant par divers procédés plus ou moins légaux les lois et réglementations en vigueur en vue de s’assurer des gains individuels » (Bounoua, 2002). 

L’auteur impute le développement de ce phénomène d’illégalisation de l’économie «à l’absence d’un environnement juridique et institutionnel adapté à cette phase particulière de transition à l’économie de marché» (Bounoua, 2002) et à une série de facteurs bureaucratiques (contraintes administratives, socio-fiscales, excès de la réglementation publique), juridiques (ambiguïté de la loi et sa faible application) et politiques (faiblesse des institutions et insuffisance des contrôles, corruption,…). Cette approche, qui s’intègre dans une approche plus globale qui est celle de l’Economie Non Observée (ENO), soulève, cependant, un certain nombre de problèmes. 

D’abord, elle repose sur le seul critère de la légalité, qui n’est pas tout à fait pertinent pour cerner et appréhender les activités de l’économie informelle, dans la mesure où la frontière entre le légal et l’illégal n’est pas toujours nette et que certaines entreprises combinent activités légales et activités délictueuses. 

En outre, ce critère de la légalité ne permet pas de distinguer l’économie souterraine de l’économie criminelle. Cette approche par la légalité renvoie plus à la nature de l’Etat qu’aux structures économiques et sociales. 

L’enjeu devient alors plus politique qu’économique et interpelle l’Etat non seulement dans son rôle de régulation (institutionnelle) de l’économie mais surtout dans celui de la garantie du respect des lois et des règlements et de l’Etat de droit de façon générale. 

L’approche du secteur informel selon le Bureau International du Travail (BIT) 

Au regard de la multiplicité des définitions du secteur informel, émanant à la fois de chercheurs, universitaires et institutions nationales et internationales et dans un souci d’harmoniser les statistiques sur le secteur informel dans les différents pays, le BIT élabore en 1993 une définition consensuelle et opérationnelle du secteur informel (ILO, 1993). Le secteur informel est, selon la résolution de la 15ème conférence internationale des statisticiens de travail du BIT de 1993, constitué des unités économiques (non agricoles) qui appartiennent, en tant qu’entreprises individuelles, au secteur institutionnel des ménages, qui ne tiennent pas une comptabilité complète et dont la personnalité juridique est confondue avec celle des ménages dont elles dépendent et qui ne sont pas enregistrées. 

Ainsi, seront considérées comme relevant du secteur informel, les entreprises répondant, de façon séparée ou combinée, aux critères suivants : le statut juridique (entreprises individuelles), la non tenue d’une comptabilité complète, la taille de l’unité économique, inférieure à un certain seuil (5 ou 10 employés), le non enregistrement (administratif, fiscal ou social) de l’entreprise ou le non enregistrement de ses salariés, et enfin la situation dans la profession (l’auto-emploi des employeurs et indépendants et des aides familiaux). 

Cette définition du secteur informel exclut de son champ les activités relevant de l’économie souterraine, les activités agricoles ainsi que la production non marchande (production domestique destinée exclusivement à l’autoconsommation finale et l’autoconstruction notamment). L’emploi informel est un concept plus large qui regroupe le secteur informel et les emplois non déclarés des entreprises du secteur formel (BIT, 2002).

Contexte d’évolution et ampleur du secteur informel 

Le développement du secteur informel intervient dans un contexte de restructuration et de libéralisation de l’économie, marqué par la précarisation de l’emploi et la promotion du secteur privé dominé par la micro-entreprise.

 L’aggravation de la crise économique et sociale à partir de la moitié des années 1980 a conduit à la mise en œuvre progressive de réformes libérales visant à instaurer l’économie de marché. Celles-ci connaissent un élargissement et une nette accélération à partir de 1994, à l’occasion de l’application du programme d’ajustement structurel (1994-1998). Le démantèlement du secteur public marchand s’accompagne d’une forte expansion du secteur privé (informel). Le chômage, en dépit de sa baisse ces dernières années, demeure élevé Il résulte de la conjonction de la croissance démographique, de l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail (dont le taux d’activité s’élève de 3,86% en 1987 à 9,59% en 1998 (BIT, 2003) et des suppressions d’emplois massives dans le secteur public économique.

En dépit du phénomène de transition démographique entamé vers la deuxième moitié de la décennie 1980, l’augmentation de la population algérienne se caractérise par un accroissement plus important de la population en âge de travailler (15-60 ans). Alors qu’elle était globalement stable dans les années 1970 et 1980 (50% entre 1965 et 1985), la part de la population en âge de travailler dans la population totale passe de 55% en 1990 à 65% en 2005 (FEMISE, 2006).

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