Quelques réflexions sur le développement de l’économie informelle en Algérie

Par : Razika MEDJOUB
A l’instar des pays touchés par la crise économique de 1986 et soumis aux exigences de la banque mondiale et le fond monétaire international. L’Algérie adopte en 1994 un plan d’ajustement structurel, dans une tentative de transition d’une économie planifiée à une économie de marché, comme solution pour surpasser la crise économique. Cette dernière est causée essentiellement par l’incapacité de l’économie algérienne à créer de la richesse en dehors des exportations des hydrocarbure.
Dans ce contexte d’une économie rentière en crise, accentué par la croissance démographique et la délocalisation des populations vers les villes suite à l’échec violant d’une ouverture démocratique (décennie noire). La situation socio économique en Algérie a survécu des transformations profondes et rapides voire ; La détérioration du niveau de vie, le rétrécissement du marché du travail et l’augmentation du taux de chômage, conjugués à une ouverture brutale de l’économie sous l’effet du PAS, ce qui à transformé cette économie en un marché qui commercialise les produits importés dans un processus du système capitaliste mondial. De ce fait, la sphère informelle à connu une progression importante, voir tentaculaire, et continue jusqu’à l’heure actuelle à produire des effets considérables. Son poids est estimé à 45% du produit intérieur brut (PIB) nationale. Elle contrôle plus de 40% de la masse monétaire (Mebtoul 2017). De plus, l’emploi informel dans le secteur privé dépasse 63% en 2016(Office national des statistiques 2016). Bien que l’économie informelle, a suscité simultanément l’intérêt des chercheurs et de l’Etat, à partir de l’ouverture sur l’économie de marché suite à cette progression véloce. Ce phénomène a existé bien avant, il remonte à l’époque coloniale et trouve notamment des origines dans la période de l’économie administrée. En effet, l’antinomie entre secteur informel/formel ne fait que succéder aux d’autres schémas antérieurs à savoir ; secteur indigène/européen (Le Pape 1983 :189). Pour cela, nous essayons, dans le présent article, de dresser un état de l’art sur son évolution. En faisant de l’histoire économique et sociale de l’Algérie, depuis la période coloniale à nos jours, un fil conducteur dans la compréhension du processus de développement des pratiques informelles. Nous nous interrogeons, dans chaque période, sur les dimensions les plus marquantes.
- Pratiques informelles et économie coloniale
Les archives des Zawiyas (confréries), les travaux socioanthropologiques de Tillion, Sayad et Bourdieu, ou même les historiens français, traitent la question de l’informel, qui s’est manifestée sous différentes formes pendant l’époque coloniale et l’en témoignent vivement.
- Zawiya, exemple d’une économie solidaire
Au début de cette période, l’économie indigène, ou ces pratiques informelles par rapport à l’économie coloniale, ont pris une forme plus solidaire et sociale à savoir un moyen de survie et de résistance populaire. Elles reposaient essentiellement sur le facteur religieux et étaient étroitement liées à la Zawiya. Cette institution traditionnelle et religieuse gérait la distribution de la rente d’El Wakf, afin d’assister les plus nécessiteux et participer aux révolutions populaires. De plus, les archives retrouvées ont bien montré que la Zawiya d’el Hamel, à titre d’exemple, avait des pratiques informelles, pour échapper aux impôts imposés par les autorités françaises sur les propriétés d’el Wakf. La lettre de Lala Zineb, qui a succédé son père dans la gestion de Zawiyat el Hamel, à Kaid de Ouled Allane est un bon exemple qui démontre que cette institution a fonctionnécomme une banque avec intérêts. Le montant de ces derniers n’était pas mentionné dans sa lettre pour ces raisons là, nous dit A. Nadir2 (Kassimi et al 2011 :51).
- Sous prolétariat et pratiques informelles de misère
Une autre forme de ces pratiques informelles, d’ailleurs la plus marquante de l’histoire coloniale, relève des activités informelles de survie et l’apparition d’une nouvelle catégorie sociale, nommée le sous- prolétariat3 (Bourdieu 1962 :203-223). Elle regroupe vendeurs à la sauvette, travailleurs à domicile, agriculteurs sans terre …Des exclus du secteur colonial moderne. Ils vivaient au jour le jour à travers de modestes activités économiques. En effet, la politique de la dépossession foncière4 et la prolétarisation des conditions d’existence, dans le but de détruire les mécanismes de solidarités sociales et tribales qui tirait leur force de la valeur symbolique de la terre (Bourdieu & Sayad 1964) ont largement bouleversé les fondements de la structure traditionnelle. En poussant ainsi à un exode massif des villageois vers les villes. Cette clochardisation, source d’appauvrissement de la population, comme l’appelle Tillion, ou le déracinement au sens de Bourdieu et Sayad, est expliquée « par un passage brutale et sans armure de la condition paysanne (naturelle) à la condition citadine (moderne) » (Tillion 2004). Le rapport de Darlan5 sur la situation des indigènes illustre ces propos ; « L’indigène, de l’Algérie surtout, est misérable. Cela éclate à l’œil nu quand on parcourt les rues d’Alger. Cela ressort plus nettement encore dans certains quartiers dont l’un porte le nom de Bidonville ……» (Lefeuvre1994 :14). Le nombre de bidonvilles à Alger est passé de 16, regroupant 5000 personnes en 1942 à 164 en 1954, soit 30% de la population du Grand Alger (Benachenhou 1976).
1.3 Marché noir de carte de ravitaillement en 2ème guerre mondiale
Aussi, pendant la deuxième guerre mondiale, la France devait subir des rationnements, suite à l’insuffisance des ressources et de la nourriture. Elle a donc instauré des cartes de ravitaillement. La ration était définie selon les besoins minimums de chacun. Mais elle était souvent insuffisante, ce qui a développé un marché noir de cartes de ravitaillement. L’Algérie, qui était une colonie française, n’a pas fait l’exception. Elle a subit également les effets de la guerre au point d’appeler cette période par les indigènes par « 3am el Boun » ou les années de misère. Le gouverneur d’Alger Chatel a adressé un tableau sur le marché noir paru dans journal Petit Parisien en Novembre 1942.6 Ce marché n’a pas concerné uniquement les français d’Algérie mais également les indigènes. Capot Rey, en expliquant les flux d’indigènes vers les villes, a bien confirmé « que pendant la guerre, l’institution descartes de ravitaillement et les facilités offertes par le marché noir avaient déjà commencé à attirer les ruraux » (Capot Rey1953 :83).